Appartient au cycle : Nicolas Philibert. Le regard d’un cinéaste

Carte blanche : “La Langue ne ment pas” de Stan Neumann
Nicolas Philibert. Le regard d'un cinéaste

Résumé :

Né en 1949 à Prague, formé à l’IDHEC en France, formé au montage, Stan Neumann passe à la réalisation en 1990 avec un coup de maître, “Les Derniers Marranes”. La résistance occulte à l’oppression occupe depuis lors une place de choix dans une oeuvre qui se caractérise par sa lucidité, sa pertinence, son humour discret, qui n’hésite jamais (Neumann vient de tout de même d’un empire passé maître dans l’art de la servitude et d’un pays qui a donné naissance à Milos Forman et Ivan Passer) à punaiser au mur de l’esprit l’absurdité tragique de l’horreur totalitaire. Il était écrit que le cinéaste finirait par croiser la figure de Victor Klemperer. Juif allemand au pire moment de l’Histoire, ce professeur de philologie à l’université de Dresde fut un des rares survivants d’une communauté avec laquelle il ne se connaissait pas tant d’affinités. Sa femme, « aryenne », fut pour beaucoup dans cette survie miraculeuse au sein-même des entrailles de la bête. Lui-même y contribua, du point de vue de sa santé mentale et de sa dignité bafouée de chercheur, en écrivant, de 1933 à 1945, un journal secret, dans lequel il consignait à la fois la chronique quotidienne des persécutions antisémites, et plus essentiellement encore la manière dont la terminologie nazie élaborée par les idéologues nationaux-socialistes infiltrait petit à petit la langue allemande, et par voie de conséquence les esprits. Ce journal, Klemperer l’intitula en latin “LTI: Lingua Tertii Imperii”, ou “langue du troisième empire” (publié en France sous le titre “LTI, la langue du IIIe Reich, carnets d’un philologue”, Albin Michel, 1996). C’est non seulement une des études les plus originales sur le nazisme, mais encore le témoignage admirable de la résistance d’un esprit libre contre la barbarie collective. Restait, pour Stan Neumann, l’immense gageure de traduire en cinéma, art du présent et de l’incarnation, cette aventure de l’esprit. Il s’en acquitte de manière particulièrement inspirée, en associant des images d’archives de la mise en scène et du discours nazis, une reconstitution fantomatique du lieu de l’écriture (bureau, machine à écrire, manuscrits), et de larges extraits du journal lus en voix-off par l’acteur Denis Lavant. La lutte entre les deux systèmes n’en est que plus flagrante. D’un côté la diatribe hystérique, la fanatisation des foules, le déchaînement pulsionnel mis en système logique, les larges espaces dévolus à la parade et à l’expression brutale de la force. De l’autre, la réflexion, l’analyse, la lucidité tragique, la fragilité du doute, le confinement d’une pièce ouverte sur l’infini de la pensée. Pensée brillante, qui démonte en l’occurrence pièce par pièce le mécanisme de perversion linguistique par lequel le système nazi prend possession de l’être allemand. Langue administrative et langue quotidienne, documents et pratique orale, s’y révèlent pénétrés par les néologismes, les euphémismes, les superlatifs, pour former un système normatif de déformation pseudo rationnelle de la réalité. Contre cette démonstration de force et à la suite de Klemperer, ce film est une démonstration d’intelligence, partant un témoignage essentiel sur l’horreur. (Jacques Mandelbaum)

Date

13 novembre 2009

Durée

01 heure(s) 01 minutes(s) 51 seconde(s)

Document joint :

Publié le 18/11/2009

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